Un podcast « le code a changé » sur France Inter
S’il y a bien quelque chose dont on se rappellera toute notre vie, ce sont les notes. Pendant toute notre scolarité, nous avons été hantés par la peur de la mauvaise note. Car parents et enseignants ne cessaient de nous le répéter: un mauvais bulletin jouera en notre défaveur pour notre avenir. De tels avertissements d’une autorité que l’on voit comme supérieure nous oblige alors à devenir des élèves corrects, voire bons. Ceux qui ne rentrent pas dans ces cases se voient souvent délaissés par le système scolaire.
En vérité nous ne nous en sommes pas débarrassées pour autant. Certes il n’y a plus de notes clairement énoncées sur un papier, pourtant elles ont pris bien d’autres formes.
On compte notamment les avis clients sur le web ou les applications. C’est ce dont parle un podcast de France Inter avec pour invité un certain Vincent Coquaz, journaliste à Libération et co-auteur du roman “la guerre des étoiles”. Penchons-nous sur ce sujet en énonçant les points importants de ce podcast.
Quelle place les notes prennent dans nos vies?
D’abord d’où viennent-elles?
Avant d’aborder le sujet de la notation actuelle, Vincent Coquaz nous précise d’abord d’où vient cette idée de noter. D’après lui, cela remonterait à l’époque des collèges Jésuites au XVI ème siècle. Cela leur permet de connaître le niveau de chacun, et ainsi de pouvoir effectuer un classement général.
Mais l’idée n’est pas de mettre en place un tel système pour le simple plaisir des enseignants. En faisant cela, ils savent réellement qui possède un bon niveau scolaire, s’en tenir compte de certains avantages dont peuvent jouir certains élèves comme leur classe sociale. Peu importe leur niveau de vie ou leur statut social, seules les notes dévoilent la vraie valeur d’un élève. C’est d’ailleurs ce qu’on retrouve aujourd’hui dans le système scolaire actuel. Aujourd’hui c’est le mérite d’une personne qui va peser dans la balance. Bien qu’il y ait débats sur la manière dont ça se passe vraiment, c’est tout de même une égalité des chances qui se présente aux plus jeunes.
Une démocratisation de l’internet mis en place
Aujourd’hui tout le monde peut noter, et l’émergence de plateforme comme AirBnB ou TripAdvisor ont renforcé ce phénomène. Chacun peut exprimer son avis en toute franchise sur un produit qu’il a acheté, un hôtel ou il a séjourné ou encore un restaurant dans lequel il a mangé. Dans un monde où l’on consomme toujours plus, avec les nombreux services autour de nous, le nombre d’avis ne cesse de s’élever.
Finalement les internautes deviennent la référence sur un produit donné. Une personne qui souhaitera acheter va prendre en compte tous les avis laissés par ses pairs avant de se décider. Les commentaires, bons ou mauvais, influencent véritablement la décision d’achat.
Les gens prennent alors la place d’un vendeur, car ils promeuvent le produit en améliorant son classement et son référencement. Cela est bénéfique pour les entreprises qui voient donc leur réputation et leur chiffres d’affaires croître en laissant les gens poster leur avis.
Des exemples décrits dans le podcast
Le restaurant Le Capello
TripAdvisor est la plateforme dédiée aux activités de loisirs: hôtels, restaurants, visites etc. Vincent Coquaz nous parle alors d’un petit restaurant Parisien qui a connu un succès flamboyant grâce à la plateforme. Un succès dû à une superbe notation, allant même jusqu’à se retrouver devant des restaurants traditionnels reconnus dans la capitale.
Alors on se demande comment cela est possible. Et bien là c’est la notion de critère qui rentre en compte. TripAdvisor note notamment le rapport qualité/prix et l’établissement en question remplissait ce critère. Au fil du temps, les notes se sont additionnées jusqu’à ce que le succès soit au rendez-vous. Malheureusement cela leur a fait venir un nombre de clients beaucoup trop élevé par rapport à leur capacité. Pour beaucoup de gens il était devenu le meilleur établissement de la ville, et certains clients avaient fini par avoir beaucoup d’attentes pour un résultat qu’ils considéraient décevant. Mais rappelons qu’il s’agissait seulement d’un restaurant de quartier.
Le cas Xavier Denamure
Xavier Denamure est un restaurateur Parisien qui n’est pas d’accord avec l’utilisation de ces plateformes. Bien que de nombreux professionnels de la restauration bénissent cet outil qui peut leur rapporter beaucoup de clients, lui est contre cette façon de faire. Pour lui ce système est absurde.
Cet homme possède un même établissement possédant deux noms différents, à l’angle d’une rue. Bien que les deux noms ne soient pas les mêmes, le restaurant, la salle, la cuisine le sont pourtant. Et malgré tout, l’établissement en question avait des notes complètement différentes.
Amazon et les fausses notes
Au cours de leur enquête, Vincent Coquaz et Ismaël Halissat ont cherché à en savoir plus sur les avis d’Amazon. Ils ont pu trouver des groupes Facebook portant quasiment des noms similaires. Sur ces groupes se trouvent des vendeurs tiers. En effet de nombreux produits sont vendus sur Amazon mais ce sont des entreprises qui les vendent sur la plateforme.
Dans ces groupes Facebook en question, on trouve des vendeurs basés en Chine. Lorsque les deux investigateurs les ont contacté pour un produit, ceux-ci leur ont proposé de leur rembourser le produit acheté s’ils mettaient 5 étoiles, avec parfois une mini commission à la clé. De plus, ces vendeurs travaillent avec des intermédiaires, des personnes qui cherchent à faire des compléments de revenus notamment des femmes au foyer.
Les deux investigateurs ont donc fait cette démarche avec une batterie de téléphone. Les avis sur la batterie étaient beaucoup trop élevés pour sa qualité plutôt médiocre. Elle obtient même une place de choix avec l’écriteau “amazon choice”, ce qui lui permet par la suite de faire de grosses ventes. D’ailleurs environ 1% des avis sur Amazon sont faussés. D’ailleurs on les retrouve sur certaines catégories de produits comme les protections de téléphones, batterie externe, et écouteurs.
Les chauffeurs Uber
Cet exemple illustre parfaitement les conséquences de ces notes sur la vie d’une personne.
Là, un chauffeur Uber s’est vu désactivé de la plateforme simplement parce qu’il a obtenu une note moyenne de ⅘. Bien que cela ne l’exclut pas des services Uber, il lui est tout de même proposé une remise à niveau afin qu’une fois de nouveau sur le terrain, sa note soit meilleure. Mais finalement cela engendre une peur, celle de se retrouver désactivé une seconde voire une troisième fois. Les chauffeurs se voient dans l’obligation de prendre des clients bien noté afin d’augmenter leur chances de rester dans la course. Et les critères d’Uber par rapport aux notes ne sont pas forcément clairs. La plateforme refuserait même de préciser à partir de combien d’étoiles un chauffeur se voit désactivé.
Il y a aussi la note client, qui permet de distinguer les plus sympathiques des plus pénibles, une idée demandée par les chauffeurs. Les clients avec le moins d’étoiles sont normalement désactivés, du moins c’est ce qui est dit par Uber. Malgré tout, des chauffeurs se retrouvent en compagnie de certains qui auraient un score qui, normalement, les conduirait à l’exclusion. Cela s’explique simplement par le fait qu’il est plus rentable de garder un client que de perdre un chauffeur.
Toujours sur le sujet d’Uber, l’animateur fait un parallèle avec un roman intitulé “ le capitalisme de surveillance” écrit par Shoshana Zuboff. Elle y démontre à quel point nous sommes ignorants de ce qui se passe chez les grandes plateformes qui gagnent des sommes colossales. Celles-ci gardent le secret sur leur fonctionnement. L’auteur évoque ainsi une “division de l’apprentissage”. Uber serait vendu comme une plateforme d’évaluation honnête et transparente, alors qu’en réalité elle se révèle bien plus obscure qu’on ne l’imagine. Finalement, seul Uber en connaît les secrets.
Le NPS ( Net promoter score)
Il s’agit d’un outil d’évaluation de la satisfaction client. Le score est calculé à l’aide d’une question très simple: est ce que vous recommanderiez cette entreprise à vos proches? Et ceci en permettant au client de noter.
Vous l’avez sans doute déjà reçu par mail sans vraiment y prêter attention. Pourtant celle-ci est considérablement importante pour les entreprises, notamment celle ou il y a une interaction directe avec le client.
Et finalement beaucoup d’employés vont dépendre de ce fameux NPS. Vincent Coquaz cite notamment l’exemple de Citroën qui à des objectifs en termes de notation, ainsi que le directeur de Carrefour qui est concerné par ses résultats car une partie de sa rémunération en dépend. Tout ça pour dire que les notes ont de plus en plus d’impact sur la vie des salariés. D’ailleurs cela est plus flagrant chez certains centres d’appels de télécoms. Cette notion de score fait apparaître un stress supplémentaire qui engendre une mauvaise organisation et crée également des conflits au sein d’une même équipe. Car un service jugé de bonne qualité va parfois permettre de toucher des primes. Malheureusement c’est tous les membres d’une même équipe qui doivent avoir une note correcte. Il suffit qu’un seul employé n’est pas un score convenable pour pénaliser le groupe.
Sift Science
C’est au cours de leur enquête que Vincent Coquaz et Ismaël Halissat sont tombés sur le nom de cette structure. C’est lorsqu’ils ont creusé dans les conditions d’utilisations de plateformes telle qu’AirBnB que ce nom est apparu. Et c’est à elle que les données clients sont envoyées. Et ça à été une sacrée surprise de découvrir que Sift Science avait collecté de nombreuses données les concernant, en lui attribuant un score. Chose qu’il n’aurait sûrement jamais su s’il n’avait pas un peu fouillé.
Cette fameuse boîte établit donc un “score de risque” pour savoir notamment si la personne en question n’est pas un pirate ou encore un robot. Sift Science à donc accès à un grand nombre de données sur l’utilisateur, et il se trouve que sans surprise, celles-ci sont collectées sur le téléphone mobile de la personne. AirBnB joue donc un rôle d’intermédiaire en transmettant les infos.
Risque de santé
Pour faire le lien avec le score de risque, Vincent Coquaz nous apprend que certaines entreprises dont on n’a pas forcément connaissance, établissent des “risques de santé”. Des critères sont donc mis en place pour le calculer: alimentation, activité physique, niveau d’études… Ces calculs sont censés définir votre niveau de santé dans les prochaines années de votre vie. Mais encore une fois, on ne sait pas vraiment comment c’est calculé, ni la façon dont elle est utilisée par la suite. D’autant que cela touche à la santé, qui est un des aspects fondamentaux de notre existence. Et on peut déjà y voir une forme de discrimination qui n’est pas bien fondé car certaines personnes peuvent toucher des avantages comme des offres d’assureurs, alors que rien ne certifie leur futur état de santé.
La note citoyenne
On a ce qu’on appelle en Chine le crédit social. Cela va plus loin que la simple idée de noter en faisant davantage office de casier judiciaire. Bien sûr, cela se fait avec des outils de surveillance maximisés. Il s’agit de se protéger notamment contre la fraude. Comme l’explique l’invité, un responsable d’un délit financier dans une province, ne pourra par exemple par rouvrir une autre entreprise ailleurs en Chine.
Il nous parle également d’expérimentations qui ont lieu dans une petite ville du pays. Là-bas on trouve un affichage qui dévoile les différentes notes avec le nom des habitants, tout cela publiquement. L’idée étant qu’en étant affiché devant tout le monde, les personnes avec un score moins bon fassent en sorte de s’améliorer. Il est donc noté dans un carnet toutes les actions effectuées par la population qu’elle soit bonne ou mauvaise.
Conclusion:
Les notes sont partout autour de nous, et avec leur présence en ligne, elles ne font qu’accentuer leur influence. Comme nous avons pu le constater au travers de ce podcast, le système est finalement obscur car on ne sait pas vraiment tout: notes faussées, magouille, valeur réelle de la note, pertinence des commentaires, tout n’est pas toujours parfaitement compréhensible.
Mais si les notes persistent, c’est parce que dans le fond elles nous rassurent. Elles représentent un produit, un service, même une personne. En fait, elles nous simplifient la vie car nous les êtres humains vivons dans un monde où tout va vite. Ainsi, lorsqu’on est confronté à une situation, nous ne voulons pas perdre de temps à analyser tous les détails qui se présentent à nous. Et la note offre une solution au problème. En fait, elle répondent à deux leviers d’influence: la preuve sociale et l’autorité. Nous validons quelque chose car beaucoup de personnes l’ont fait avant nous: cela nous rassure et nous conforte dans notre décision. Et toutes les voix de ces personnes leur assurent une certaine crédibilité, à laquelle nous nous plions finalement.
C’est sans compter que nous sommes conditionnés à vivre dans ce système depuis la tendre enfance. La notation est pour nous un repère, tel un phare au milieu de l’océan.